Chute et recommencement

Teljes szövegű keresés

249Chute et recommencement
L’équilibre délicat du pouvoir tel qu’il était exercé dans la Hongrie des Szapolyai fut peu à peu rompu par les événements de la fin des années 1540. Le processus s’était entamé au début de l’année 1546 quand les Turcs commencèrent à exiger la remise d’un château du Sud, Becskerek, pour s’assurer ainsi le maintien d’une bonne liaison entre Belgrade et la ville de Szeged, prise en 1543. L’année suivante fut de mauvais augure. Le 31 mars 1547, mourut François Ier, roi de France et grand ennemi de la maison des Habsbourg. Le 24 avril, les armées de Charles Quint remportèrent, à Mühlberg, une victoire contre les princes protestants révoltés, victoire qui parut décisive. Enfin, à Constantinople, l’armistice observé entre les Habsbourg et le Sultan fut remplacé, le 18 juin, par une paix véritable.
La politique pro-turque inaugurée par Jean Ier avait atteint son objectif principal: préserver de l’invasion turque la Hongrie orientale abandonnée à elle-même tout en maintenant son indépendance. Par contre, l’affaire du château du Sud constituait un avertissement qu’à la longue, les Turcs ne manqueraient pas d’avancer, alors que la paix de Constantinople avait neutralisé les forces capables de limiter le libre mouvement de la Porte dans le bassin des Carpates: l’armée des Habsbourg. Cela paraissait d’autant plus évident que Soliman Ier refusait d’inclure des garanties pour Isabelle et son pays dans le traité de paix.
La cour de Gyulafehérvár envoya un message désespéré à Charles Quint «… nulle paix n’est possible avec un ennemi qui non seulement veut … notre soumission mais porte atteinte à notre vie … Jusqu’à présent, il se contentait d’un impôt, mais maintenant il exige toujours plus de places fortes et cherche notre perte».* Les conseillers hongrois de Ferdinand Ier demandaient eux aussi à l’Empereur de ne pas signer la paix en invoquant qu’ils étaient au service de la maison des Habsbourg justement dans l’espoir de la voir chasser les Turcs.
EOE I.307.
Charles Quint ne pouvait cependant croire que la mort de François Ier et la victoire de Mühlberg fussent à même de résoudre les difficultés de l’Empire. La paix de Constantinople ne fut donc pas dénoncée.
La peur générale aidant, tant Isabelle que le moine György entreprirent de nouvelles manœuvres: la reine se remit à marchander avec Ferdinand sa possible abdication. Le moine, lui, finit par se décider à briser le cercle magique qui, depuis un quart de siècle, déterminait la politique hongroise: il défia l’immobilisme des Habsbourg, tout en pressant Isabelle à se déterminer quant à l’avenir de la dynastie des Szapolyai. Il offrit lui aussi à Ferdinand Ier le trône de Transylvanie.
Le roi, après un an de réflexion, se décide enfin à envoyer des troupes pour défendre sa nouvelle province. Obtenant ainsi un résultat sur le point le plus important, le moine György signe, en septembre 1549, à Nyírbátor, la troisième convention sur l’union des deux Hongries. Isabelle et son jeune fils reçoivent en compensation un domaine en Silésie (ils obtiennent les principautés d’Oppeln et de Ratibor), tandis que le moine György est nommé voïvode de Transylvanie, conservant ainsi son pouvoir effectif dans cette province.
A la nouvelle de l’accord conclu à son insu, Isabelle laisse apparaître ses vrais sentiments. Il n’est plus question de partir, de renoncer: la reine s’ac 250croche de toutes ses forces au pouvoir de sa dynastie, dénonçant directement au Sultan son «infidèle» gouverneur. Dans le courant de l’été 1550, elle ne le laisse pas entrer à Gyulafehérvár, tandis que Péter Petrovics avance, venant de la région de Temes par la vallée du Maros, vers la Transylvanie. Le gouverneur-évêque réunit néanmoins rapidement une armée et, après six semaines de siège, force la reddition de Gyulafehérvár, puis fait face aux troupes turques et valaques qui, entre-temps, ont attaqué la Transylvanie. A l’occasion de l’assemblée en armes de Torda du 29 octobre, la peur générale fait retourner les gens à son parti. Au cours des semaines qui suivent, le pacha de Buda, Kassem, est contraint par János Török de faire demi-tour et ceux de la Valachie sont battus par János Kendi. Enfin, Ilie, le voïvode de Moldavie, est chassé hors des Carpates par le moine lui-même. Au début de l’hiver, la paix règne à nouveau dans le pays.
Le 30 novembre, après avoir abondamment pleuré, Isabelle se réconcilie avec son gouverneur mais, peu après, en mai 1551, ce sont de nouveau les armes qui parlent en Transylvanie: Isabelle craint pour son pouvoir et pour celui de son fils, Petrovics et ses alliés (comme le grand seigneur de Békés, Ferenc Patócsy) craignent pour leurs domaines qui, depuis 1541-43, se trouvent exposés aux Turcs. La majorité reste malgré tout fidèle au moine qui continue d’œuvrer pour l’union du pays et qui se rend maintenant bien compte, après toutes ces révoltes qui se répètent, qu’il est nécessaire d’éloigner la reine de la Hongrie.
Seulement, entre-temps, la roue de la politique européenne a encore tourné. En 1550, lors de la Diète d’Empire, à Augsbourg, Ferdinand Ier a, pour la première fois de sa vie, une sérieuse altercation avec son frère aîné: l’espoir de recevoir de l’aide de l’Empire s’évanouit définitivement. Le roi, d’ailleurs, en tire les conséquences: au dernier moment, il tente de proroger l’exécution de la convention de Nyírbátor. Mais ses vassaux hongrois, qui vivent dans l’attente de la réunification du pays, le pressent et le contraignent littéralement à l’intervention.
Au cours de l’été de 1551, sous le commandement de Giovanni Battista Castaldo, le «gouverneur militaire» du roi, et de Tamás Nádasdy, grand sénéchal de Hongrie, arrive en Transylvanie une armée de 6 à 7000 hommes. «Pour une armée, c’est peu, pour une ambassade c’est trop», note un observateur acrimonieux.* Dès avant leur arrivée à Gyulafehérvár, les armes du moine ont déjà obligé une fois de plus Isabelle à se rendre: le 19 juin, désespérée, elle signe son abdication du trône de Hongrie ainsi que celle de son fils. Le 26 juillet, la Diète de Kolozsvár reconnaît Ferdinand Ier comme seul maître du pays. La Sainte Couronne qui, depuis 1529, était aux mains de Szapolyai est triomphalement transportée à Pozsony.
ASCANIO CENTORIO DEGLI HORTENSI, Commentarii della guerra di Transilvania., Vinegia, 1564-Budapest, 1940, 68.
Pendant ce temps, le Sultan, informé des maneeuvres militaires en cours en Transylvanie, donne l’ordre à Sokollu Mehmet, beglerbey de Roumélie, de passer à l’attaque. Au début du mois d’août, le pacha est déjà dans le Temesköz et ce, malgré le message transmis par le moine: le tribut annuel habituel a été payé au Sultan. Cela ne l’empêche pas d’occuper Becskerek, Csanád et Lippa. Les succès ont rendu Sokollu plus indulgent: même s’il doit renoncer à Temesvár, il accepte maintenant de «croire» les explications du moine György, à savoir que le traître était le seul Petrovics et que c’est seulement dans les châteaux de ce dernier que l’armée royale est entrée.
251Le grand mouvement politique commencé en 1549 aboutit finalement à un résultat globalement négatif. Il est vrai qu’Isabelle a pu ętre chassée, que le pays a été réunifié, que les Turcs ont pu être provoqués, il n’en reste pas moins que le plus important, la mise en branle de l’Empire, n’a pas été réalisé. Le moine voudrait bien faire machine arrière, mais cela s’avère de plus en plus difficile. Sous la pression du roi Ferdinand et de l’opinion publique, il se met à la tête d’une armée pour reconquérir Lippa (outre Castaldo et Nádasdy, Sforza Pallavicini, chef mercenaire, est là, lui aussi) mais il prend bien garde à ce que le détachement turc qui rend le château puisse se retirer indemne.
Ferdinand Ier, dès le début, se méfie du moine-évêque devenu entre-temps cardinal, et finit par se rendre aux fausses affirmations de Castaldo qui l’accuse de préparer une trahison. A l’aube du 17 décembre 1551, Sforza Pallavicini, sur l’ordre du roi, fait assassiner le moine dans son palais d’Alvinc. La Transylvanie est en quelques semaines prise en main par Castaldo et András Báthory qui en est nommé voïvode.
Les Habsbourg étaient, dans le męme temps, occupés à mater la nouvelle révolte des princes protestants allemands et à parer à l’attaque française qui venait au secours de ceux-ci.
Quant au Sultan, on dut se rendre à l’évidence que, même s’il ne parvenait pas à remporter une victoire définitive, c’était encore lui le plus fort. Au cours de la campagne militaire turque de 1552, bon nombre de châteaux forts frontaliers hongrois sont tombés, entre autres Veszprém, Szolnok, Lippa, Temesvár, Karánsebes, Lugos. A l’issue de leur attaque, les Turcs avaient arraché les plus gros morceaux de l’ancien pays des Szapolyai. Soliman somma alors les Transylvains de rappeler Isabelle et son fils, sinon il irait raser leur pays. Castaldo et Báthori ne purent pas empêcher les Ordres d’entamer des négociations directes avec les Turcs: c’est Peter Haller, partisan inconditionnel des Habsbourg et «juge du roi» à Szeben, qui se chargea de l’ambassade. Le moine György avait certes commis une erreur en laissant entrer les Habsbourg en Transylvanie, mais en le faisant assassiner, Ferdinand Ier n’avait rien résolu ...
Tout cela se passe en automne 1552 où, simultanément, l’armée mercenaire mal payée, au lieu de combattre les Turcs, pille les villes et les villages. Se rendant compte de son impuissance, Castaldo se fait rappeler, tandis que Báthori renonce à son titre de voïvode. La noblesse des comitats de la Tisza se soulève pour faire revenir Isabelle et Péter Petrovics qui, en échange de Temesvár, avait reçu le château de Munkács, accourt aussitôt à leur aide.
Ce sont les nouveaux voïvodes de Transylvanie, István Dobó (qui s’était distingué dans la défense d’Eger en 1552), et Ferenc Kendi, grand propriétaire foncier transylvain, qui ont pour tâche d’étouffer le soulèvement. Ils ont de la chance: le Sultan est occupé par la guerre de Perse, raison pour laquelle il interdit au pacha de Buda d’aider le soulèvement. La révolte échoua mais Soliman Ier céda, en 1554, Lugos et Karánsebes à Petrovics qui, entre-temps, s’était enfui en Pologne. En Transylvanie, le rappel des Szapolyai est à nouveau exigé par les chaouchs du Sultan; Ferdinand Ier, au début de l’année 1555, doit payer au trésor de Constantinople le tribut de la province. Tous ses ambassadeurs reviennent avec le message du Sultan: il ne fera pas la paix tant qu’Isabelle ne récupérera pas son pays.
Les principautés roumaines (sur l’ordre des Turcs) se préparent à attaquer; les territoires à l’est de la Tisza se sont à nouveau soulevés sous la conduite de Petrovics. Le 23 décembre 1555, la Diète transylvaine de Marosvásárhely envoie le message à Ferdinand Ier.
252«Nous attachions beaucoup de prix à être les vassaux d’un prince chrétien, à être en rapport avec un empereur romain, mais Dieu n’a pas voulu que cela dure … Ce que nous sollicitons auprès de Votre Majesté, c’est ou bien de nous aider avec des forces susceptibles de résister à Soliman ou bien de nous libérer de notre serment.»*
EOE I.475.
En fait, ils n’attendirent même pas la réponse. Menyhárt Balassa, le commandant en chef des armées transylvaines, fit envoyer, par la Diète de Torda, à la fin de janvier 1556, à la reine Isabelle, qui s’était entre-temps enfuie en Pologne, le message de revenir. Petrovics, venant de Karánsebes, entra à la tête de troupes armées dans le pays. Le 12 mars, une nouvelle Diète, réunie à Szászsebes, prête le serment de fidélité au «fils du roi Jean».
Ferdinand Ier, dans une lettre écrite le 14 juin au Sultan, annonce qu’il rend la Transylvanie aux Szapolyai. Trop tard: Khadim Ali, pacha de Buda, attaque Szigetvár et attire ainsi les armées royales vers la Transdanubie. Les châteaux forts royaux de Transylvanie ouvrent l’un après l’autre leurs portes aux armées de Petrovics et de Balassa; Isabelle et son fils, le 22 octobre, entrent en grande pompe à Kolozsvár. István Dobó défend Szamosújvár jusqu’en novembre 1556, mais il est finalement contraint de se rendre.
Várad ouvre ses portes en avril 1557, les comitats de Gömör, d’Abaúj et de Zemplén passent eux aussi du côté des Szapolyai. Dans la partie est du pays, seuls les châteaux de Gyula, Világos et Jenő restent fidèles aux Habsbourg et ils ne seront pris par les Turcs qu’en 1566.
Ainsi l’été de 1557 voit de nouveau le royaume d’Isabelle s’étendre jusqu’à Kassa et le Pays de Zips. Les hésitants reçoivent un avertissement sanglant la reine fait assassiner, à Gyulafehérvár, le 31 août 1558, Ferenc Bebek, Ferenc Kendi et Sándor Kendi accusés de trahison. A peine un an plus tard, le 15 novembre 1559, elle meurt elle aussi et le pouvoir retombe sur les épaules de Jean 11, âgé de 19 ans, «le roi de Hongrie élu». Mais Ferdinand a de nouveau conclu l’armistice avec les Turcs et, en ce qui concerne les Szapolyai, la seule plate-forme qu’il accepte de négocier est leur renoncement au trône. La situation commence à évoluer en 1561 lorsque Menyhért Balassa passe aux côtés des Habsbourg et que sa volte-face entraîne avec lui toute la noblesse des territoires riverains de la Tisza. L’armée, qui a reçu l’ordre de les mettre à la raison, subit une grave défaite à Hadad, le 4 mars 1562. Pendant ce temps, les Sicules se sont eux aussi révoltés et, quoique l’armée du souverain les ait battus, de toutes ces guerres, la Hongrie des Szapolyai est sortie amoindrie: des territoires d’au-delà de la Tisza, il ne reste que Bihar et Máramaros.
Les contre-attaques répétées des années suivantes n’apportèrent que peu de résultats en 1564-1565 (prise de Szatmár et de Nagybánya) mais Lazarus Schwendi reprit les deux villes au cours du printemps de 1565. Jean II, sous l’effet des échecs, se montre prêt à signer un traité avec le fils de Ferdinand, Maximilien Ier (paix de Szatmár), selon lequel, en échange de son abdication, son pouvoir sur la Transylvanie lui serait reconnu, mais cette fois, les Turcs viennent à son aide. Le 29 juin 1566, à Zimony, le jeune Szapolyai accompagné des représentants des trois «nations», rend les honneurs à Soliman qui arrive à la tête de son armée. Soliman l’assure de sa haute bienveillance, puis prend Szigetvár, la clef de la Transdanubie, où il meurt pendant le siège. Pendant ce temps, Pertev pacha, second vizir, prend Gyula, Jenő et Világos: l’enclave Habsbourg au sud de la Haute-Tisza cesse d’exister. Peu après, Maximilien 253Ier (1564-1576) signe hâtivement la paix avec les Turcs à Andrinople, le 17 février 1568.
Cette fois-ci, l’empereur-roi a intégré «l’autre» Hongrie dans le nouveau traité de paix avec les Turcs. On peut donc arrêter «la guerre des châteaux» qui agite la région entre Kassa et Szatmár. Ce qu’ István Báthori de Somlyó, l’ambassadeur de Jean II, avait vainement tenté d’obtenir au prix d’efforts de plusieurs années, de voyages et de séjours en prison à Prague, Gáspár Bekes, le nouveau favori du jeune Szapolyai, en est gratifié au bout de quelques mois c’est le 16 août 1570, à Spire, que voit le jour l’accord stipulant le renoncement de Jean II au titre de roi de Hongrie et l’acceptation du simple titre de «Jean, prince de Transylvanie et des parties de la Hongrie» (Fürst/princeps) sans oublier la clause qui prescrit, dans l’hypothèse où sa famille n’aurait pas de descendance, que son pays, en tant que partie de la Couronne de Hongrie, reviendrait au roi de Hongrie de toujours. Maximilien fait aussitôt ratifier ces points, mais non Jean II qui meurt quelques jours plus tard (le 14 mars 1571) sans laisser d’héritier au pays, et léguant seulement une situation juridique incertaine aux Ordres de sa Principauté.
Encore sous l’effet des succès turcs, la Diète de Gyulafehérvár du 8 septembre 1567 jura solennellement «sur Dieu le Père, que … du moment que, par la volonté de Dieu Tout Puissant, notre Bienveillant Seigneur est parti sans laisser d’héritier, de notre volonté unie et non par esprit de parti, nous élirons un prince».* C’est donc finalement cette deuxième solution qui sera choisie: le 25 mai 1571, «coupant court à toute autre discussion et paroles», ils choisissent pour leur seigneur István (Etienne) Báthori de Somlyó, heureux général des «guerres des châteaux».
EOE II.335.
Báthori est né en 1533 comme fils du voïvode de Transylvanie. Il a beaucoup voyagé: dans son enfance, il a été page à la cour de Vienne et, en 1549 il a passé un temps à la célèbre université de Padoue. C’est au milieu des années 1550 qu’il est revenu en Transylvanie. En 1556, c’est lui qui a salué au nom des Ordres la reine Isabelle revenue au pays. En 1559, il a reçu sa première mission importante: la reine le nomme commandant de Várad et il devient ainsi, en même temps, maître du comitat de Bihar, de première importance stratégique. En outre, à cette époque, il est déjà le plus grand propriétaire terrien du pays des Szapolyai.
Son élection en 1571 comportait bien des risques, dont il était parfaitement conscient. C’est la raison pour laquelle il renonce aux titres bien sonnants de ses prédécesseurs: il se contente du simple titre de a voïvode» des anciens gouverneurs royaux de Transylvanie et, qui plus est, il prête en secret serment de fidélité à Maximilien Ier, reconnaissant ainsi l’appartenance de son voïvodat à la Hongrie. Dans le même temps, la Porte considère comme un droit la nomination du successeur des Szapolyai, et il est vrai que l’athnamé amené par le chaouch Amhat à l’élection de Gyulafehérvár portait lui aussi sur le nom de Báthori: «Voïvode de Transylvanie Etienne Báthori … Depuis longtemps le pays transylvain est sous ma protection, … c’est un de mes pays parmi les autres … Ainsi, pour ta fidélité envers ma personne et de par mon autorité, je te donne le pays transylvain.»*
EOE II.459.
Il fallait donc continuer à jouer de l’équilibre entre les deux grandes puissances. Au début, la menace venait du côté de la cour royale: quoique Maximilieu, 254tirant les leçons des malheurs de son père, se refusât à intervenir directement dans les affaires de la Transylvanie, il laissa cependant ses officiers de la Haute-Hongrie soutenir Gáspár Bekes, aspirant au trône, dans l’organisation d’une révolte contre le voïvode.
La première tentative de Bekes se solda par un échec et il dut lui-même s’enfuir de Transylvanie en 1573. Puis, au cours de l’été de 1575, il prit la tête d’une armée mise sur pied en Haute-Hongrie, et partit pour la conquête du pays. Dans le dos de Báthori, les Sicules s’étaient également révoltés. Il sortit cependant victorieux de la bataille décisive (le 10 juillet 1575, à Kerelőszentpál). Le prétendant au trône s’enfuit et, parmi ses partisans qui sont faits prisonniers, quatre aristocrates furent pendus sur le champs de bataille, sept autres (ainsi que trois douzaines de Sicules) sont plus tard exécutés sur jugement du voïvode.
La nouvelle de la victoire est tellement retentissante que, dès le moment où Henri de Valois, devenu roi de Pologne, s’est enfui pour retourner en France où le trône l’attend (Henri III, 1574-1589), la noblesse polonaise, le 15 décembre 1575, élit Báthori roi de Pologne. Son rival était l’empereur Maximilien lui-même, mais le conflit, qui menaçait d’être grave, s’est résolu avec sa mort subite (le 12 octobre 1576). Comme Maximilien avait déjà été prudent face à Báthori, son successeur, Rodolphe Ier (1576-1608), ne voulait pas non plus entrer en conflit avec le souverain de la grande et puissante Pologne pour la question de la possession de la Transylvanie et de quelques comitats hongrois.
Pendant que la menace venant de l’Ouest s’apaisait, la pression turque, elle, ne cessait d’augmenter. Bien que Selim II (1566-1575) ait reconnu, dès 1572, le droit de succession des Báthori, cela ne l’empêchait guère de faire pression sur la Transylvanie en menaçant de reconnaître Gáspâr Bekes. Mourad III (1575-1595) augmenta, aussitôt après son avènement, le tribut de la Transylvanie (de 10 000 à 15 000 florins d’or annuels). Les «cadeaux» donnés aux vizirs et aux pachas ont également augmenté et un candidat au trône, soutenu par les Turcs, était tenu prêt à Constantinople. (Il s’agissait de Pál Márkházi, un noble de Transylvanie; le système de chantage étant le même qu’on employait envers les princes roumains.)
Néanmoins, Báthori, dont les domaines familiaux se trouvaient dans la région à l’est de la Tisza, rattachée à la Transylvanie, connaissait bien les obligations humiliantes et à double tranchant du monde turc: «les Turcs n’admettront pas n’importe qui comme maître de la Transylvanie. Votre Majesté aurait intérêt à soutenir dans cette province un homme médiateur qui pourrait rendre service de manière … qu’avec le temps, la Transylvanie soit rattachée à la Hongrie», avait-il conseillé en 1567, à un des hommes de confiance de Ferdinand. Il n’a plus d’illusions. La phrase suivante est également de lui: «L’armée de l’Empereur turc ne cueillera pas des fraises pour les mettre dans le panier d’autrui». Il versait donc le tribut augmenté, payait des pots de vin aux notables turcs et interdisait à ses gardes-frontières d’attaquer les provinces soumises aux Turcs; il poursuivit le voïvode Bogdan qui fuyait les Turcs, etc.*
ENDRE VERESS, Báthori István erdélyi fejedelem és lengyel király levelezése (La correspondance d’Etienne Báthori, Prince de Transylvanie et Roi de Pologne) I, Kolozsvár, 1944, n° 69.
Le fait d’avoir occupé le trône de Cracovie a-t-il changé son attitude? Il faut noter que la deuxième moitié du XVIe siècle est une époque de grande 255prospérité pour la Pologne que l’exportation du blé vers l’ouest a enrichie et rendue forte. Toutefois, la faiblesse du système politique hérité du passé a empêché ce pays de devenir une grande puissance d’Europe orientale. Mais Báthori, lui, venait d’un pays où le pouvoir central avait réussi à passer outre les intérêts des Ordres.
Le roi Etienne continuait à se considérer comme hongrois et ses sujets s’étaient même fâchés contre lui lorsqu’ il lui avait une fois échappé, en 1577, que Dieu ne l’avait pas créé pour les Polonais, mais pour les Hongrois. Aussi la question turque ne cessait-elle de le préoccuper. Cependant, la situation européenne dans son ensemble n’était pas favorable à ses projets. Après la glorieuse victoire des chrétiens à Lépante (le 7 octobre 1571), les Turcs recouvrèrent leurs forces, et Venise, abandonnée par ses alliés, dut, dès 1573, signer la paix avec le Sultan. En France, le massacre de la Sainte-Barthélémy (le 24 août 1572) fit élargir la guerre civile, mais l’Empire germanique ne parvint cependant pas à exploiter la situation, car les Habsbourg, contestés par les protestants ainsi que par les forces antiimpériales de l’Empire, n’étaient réellement maîtres que dans les provinces héréditaires et dans les pays de la couronne de Bohême.
Il n’y avait guère que la Cour papale où survécut l’idée de combattre les Turcs. Cependant le Pape Grégoire XIII, dans la dispute pour le trône de Cracovie, soutenait Maximilien et c’était seulement en 1577 que les relations avaient été renouées avec la Pologne. Laureo, le nonce du Pape, arrive alors à la cour de Báthori avec le plan d’une coalition contre les Turcs puis, en 1574 c’est le tour du nonce Caligari avec une proposition identique, mais le projet d’une ligue anti-turque ne prendra jamais corps.
En 1581 et 1582, c’est le roi Etienne lui-même qui formule l’idée d’une alliance des chrétiens d’Europe de l’Est contre les Turcs. Cependant les alliés potentiels – l’Espagne de Philippe II et même Venise – sont incapables de la moindre coopération. Báthori change donc soudain de visées et, au printemps 1584, il fait une toute autre demande au Saint-Siège: il sollicite de l’aide pour partir à la conquête de la Russie. S’il y réussissait, il tournerait les forces des Russes et même celles des peuples du Caucase contre les Turcs. La proposition, transmise à Rome par l’intermédiaire du jésuite Antonio Possevino, est repoussée par la Curie Romaine. C’est à ce moment que meurt l’héritier du trône français et que désormais le titre du «roi très chrétien» revient au roi de Navarre, le protestant Henri de Bourbon, situation qui inquiète le Pape et l’empêche de s’occuper de l’Europe orientale. Báthori, cette fois-ci, insiste: il envoie à Rome son cousin, le cardinal András Báthori, mais n’obtient pas gain de cause: Sixte V promet seulement une aide insignifiante de 25 000 ducats par an et les négociations s’arrêtent d’elles-mêmes. Nous sommes déjà en été 1586 et, le 12 décembre de cette année, le roi Etienne meurt à Grodno, sans qu’il ait pu réaliser quoi que ce soit de ses plans grandioses.
Pratiquement chaque grand souverain d’Europe, au cours des 150 années écoulées, avait rêvé, négocié des ligues contre les Turcs, des croisades. Quant à Etienne Báthori, il est resté, face aux Turcs, aussi prudent qu’à l’époque où il n’était que voïvode de Transylvanie. Pour sauvegarder la paix, il a même fait exécuter des Cosaques maraudeurs et fait décapiter deux voïvodes de Moldavie chassés par le Sultan, mais qui se préparaient à y retourner: Ioan Potcoavă et Iancu Sasul. Il avait pour cela de bonnes raisons: les Ordres polonais exigeaient la sauvegarde de la paix avec les Turcs dont il s’était même porté garant lors de son serment d’avènement, les «pacta convents». Les Polonais 256craignaient la puissance du Sultan et l’animosité des pays avec lesquels ils avaient des frontières communes: la Prusse, la Russie et les Habsbourg.
Ceci étant, le roi, pas plus que quiconque, ne pouvait s’opposer à la volonté des Ordres. Son souci de renforcer le pouvoir royal eut d’ailleurs pour résultat d’anéantir sa popularité du début. Jan Zamoyski, son secrétaire personnel, issu de la petite noblesse qu’il finit par élever au poste de chancelier, était haï de la presque totalité du peuple; ses anciens fidèles partisans, les frères Zborowski, se révoltèrent contre lui et, lorsqu’il punit l’infidélité à la manière des Transylvains, en faisant brandir la hache du bourreau, tout le pays le réprouva. Des entraves à mettre à ses projets, les voisins de la Pologne s’en chargèrent. La ville de Danzig lui refusa le rituel hommage vassalique et la guerre entreprise pour la dompter (1576-1577) se termina par un succès éphémère. Il est vrai qu’il vainquit par trois fois le tsar russe Ivan IV (le Terrible), entre 1579 et 1581, mais sans jamais réussir à vraiment l’affaiblir. C’est peut-être cet intermède qui poussa Báthori à faire des plans liant les questions turque et russe, plans qui connurent, dans les milieux de la noblesse lituanienne, une certaine popularité – venue, hélas, trop tard.
L’idée de chasser les Turcs était sans aucun doute présente dans l’esprit du roi Etienne, mais son expérience d’homme politique prudent l’empêchait de dilapider ses forces dans la réalisation d’une entreprise qui s’avérait, tant du point de vue de la politique intérieure qu’extérieure ou militaire, des plus périlleuses. Il essaya tout d’abord d’en créer les conditions, mais tout fut interrompu par sa mort prématurée. Si les Polonais le pleurèrent par la suite, comme un de leurs plus grands rois, il ne sut, en réalité, aider en rien la cause hongroise.
La question turque, il l’avait sans aucun doute amenée avec lui de Transylvanie et elle le préoccupa tout au long des dix années de son règne en Pologne. Il est vrai qu’ «à la maison», il confia la direction des affaires courantes, d’abord à son frère aîné Christophe puis, après sa mort (1581), à Sigismond, le fils de ce dernier, leur laissant le titre de voïvode, tandis que lui se faisait appeler prince. La décision dans des questions plus importantes lui était naturellement réservée: à Cracovie, il mit sur pied une chancellerie de Transylvanie, qui lui permettait de contrôler et de diriger les activités de ses voïvodes. Il gardait la haute main dans toute affaire extérieure de la Transylvanie.
L’Empereur Maximilien, puis Rodolphe, tentèrent d’appliquer le traité de Spire, tandis que lui exigeait du roi de Hongrie le retour de ses domaines perdus entre 1564 et 1567. Aucune des deux parties ne voulait la guerre mais il fallut cependant attendre jusqu’en 1585 pour qu’un accord soit signé (c’est à cette occasion que le prince récupera la mine d’or de Nagybánya). Entretemps, Báthori (qui, par le trône de Pologne, était devenu un souverain indépendant) reprend l’idée, exprimée dès le temps des Szapolyai, de la réunification de la Hongrie à partir de l’Est. A un moment où Rodolphe était déjà atteint par une maladie grave, Báthori ne cessa de répéter, au cours de ses pourparlers avec Caligari, le nonce du Pape, que si les Turcs le permettaient, les Hongrois feraient de lui leur roi sans coup férir. Il est vrai qu’il avait des partisans en Hongrie, et leur correspondance n’est pas exempte d’allusions à cette idée. Par contre, rien n’est fait pour mener ce projet à bien. L’idée de l’union du pays à partir de la Transylvanie avec le consentement des Turcs devait se maintenir comme un héritage à l’intention des princes qui lui succéderont sur le trône de Transylvanie: Gabriel Bethlen, Georges Ier Rákóczi et Eméric Thököly, dont la politique ne peut être comprise qu’à la lumière de cette tradition.

 

 

Arcanum Újságok
Arcanum Újságok

Kíváncsi, mit írtak az újságok erről a temáról az elmúlt 250 évben?

Megnézem

Arcanum logo

Az Arcanum Adatbázis Kiadó Magyarország vezető tartalomszolgáltatója, 1989. január elsején kezdte meg működését. A cég kulturális tartalmak nagy tömegű digitalizálásával, adatbázisokba rendezésével és publikálásával foglalkozik.

Rólunk Kapcsolat Sajtószoba

Languages







Arcanum Újságok

Arcanum Újságok
Kíváncsi, mit írtak az újságok erről a temáról az elmúlt 250 évben?

Megnézem